La B.D. japonaise - revue Phénix de 1972 - premier article sur les mangas
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L'article "La B.D. japonaise" est tirée du numéro 21 de "Phénix revue internationale de la bande dessinée" du deuxième semestre 1972 (6 ans avant l'arrivée de Goldorak en France). L'article est de Claude Moliterni avec des illustrations fournies par Kosei Ono. D'après Wikipédia il s'agirait du premier article en français consacré aux mangas (source http://fr.wikipedia.org/wiki/Manga). Je continue ainsi à vous faire partager les premiers pas de la BD japonaise en France, après les articles Premier manga traduit en France? 1969 et Le Cri Qui Tue N°1 - revue de mangas en français de 1978.
Golgo thirteen par Takao Saito (Golgo 13)
"Depuis fort longtemps, la bande dessinée japonaise fait parler d'elle mais, par un manque d'informations, on ne pouvait se faire une idée des publications de B.D. En 1970, à la demande de l'ambassade du Japon, j'ai présenté une rétrospective de la B.D. japonaise, mais sans aucune référence. Notre représentant à Tôkyô, Kosei Ono, nous a envoyé depuis toute une documentation et d'après cette documentation, j'ai essayé de faire le point sur la B.D. au Japon.
Au premier abord, on remarque la violence qui est présente dans la bande dessinée destinée aux tous jeunes comme dans celle destinée aux adultes. Ce n'est que coups de sabres, ventres ouverts, têtes coupées... On s'en donne à cœur joie, de quoi faire frémir la censure française pendant plusieurs nuits... Ensuite les visages des héros ne sont pas ceux que l'on pourrait s'attendre à voir, pas d'yeux bridés, mais d'énormes yeux ronds à l'occidentale.
Mais la grande innovation de la B.D. japonaise, c'est la mise en page et les quelques exemples qui vont suivre vont être une éclatante démonstration. Ces cartoonists ont compris ce qu'était la bande dessinée, ils ont découvert tout de suite qu'elle avait un langage... Influencés par les comic-books US, ces dessinateurs ont utilisé la science du découpage d'une manière fantastique donnant ainsi un rythme à leurs séries... Tout est visuel... Quant à l'utilisation du noir et blanc, elle est prodigieuse...
Voici une petite histoire de la B.D. japonaise en attendant celle que nous a promise Kosei Ono.
«Golgo Thirteen», de Takao Saito. Cette bande dessinée est publiée dans «Big Comics». C'est une histoire d'espionnage où l'aventure et l'action ont une grande place. C'est une série pour adulte noir et blanc.
Les aventure de Sabu et lchi est peut-être l'une des plus intéressantes. Ce sont deux jeunes gens, sortes de détectives qui opèrent essentiellement au Japon. Cette bande dessinée est réalisée par Shotaro Ishimori. Sabu est un jeune détective et son compagnon lchi est aveugle, mais maître dans l'art de manier l'épée. Cette équipe évolue sans cesse dans des situations bizarres où le crime est toujours présent. Sabu a pour but de surveiller la ville de Edo. Shotaro Ishimori montre dans cette série la vie quotidienne au Moyen Age. Tous les détails sont exacts et scrupuleusement dessinés. «The casebook of Sabu et lchi» est destinée aux adultes, et publiée dans «Big Comics».
La nouvelle vague dans la bande dessinée japonaise existe aussi avec une série «John and Yoko», dessinée par Kazuo Vemura. L'auteur, tout en traitant des problèmes actuels de la jeunesse, emploie admirablement la technique narrative. C'est le Manga Action qui édite «John and Yoko».
«Black Salesman». C'est une bande dessinée comique où l'humour noir est prédominant. Fujio Fujiko est un des seuls dessinateurs japonais à produire un comics de ce genre. «Hitler Madness of the century». Série pour adultes publiée dans «Manga Sunday» et dessinée par Shigeru Mizuki. C'est la version en bande dessinée de la vie d'Hitler. Cette série est lue principalement par les étudiants des universités. On peut remarquer que la documentation a été très sèrieuse pour la réalisation de cette bande dessinée.
L'avant-garde dans la bande dessinée japonaise est représentée par Maki Sasa Sasaki avec «To the moon» dans l'hebdomadaire «Ashahi Journal». Cela n'a aucun sens, ce n'est qu'une juxtaposition d'images. Très apprécié par le public estudiantin.
Dans cette même nouvelle vague des comics, il faut signaler le dessinateur Mori Masaki qui travaille pour l'hebdomadaire «Shonen Magazine». Masaki est un de ces dessinateurs qui s'est posé les problèmes de la technique narrative. Il y excelle. Sa bande dessinée est destinée aux jeunes, mais elle reflète aussi les problèmes que peuvent se poser les adolescents.
On trouve aussi avec Ryuzan Aki le délire à la Don Martin. Il collabore au «Manga Sunday». Il manie avec beaucoup d'intelligence la férocité et l'humour noir. C'est une des séries les plus populaires au Japon.
Le délinquant juvénile, devenu boxeur, un thème bien connu, mais Tetsuya Chiba sait renouveler le genre avec «Joe aiming at Tomorrow», bande dessinée qui paraît dans «Shonen Magazine». Tous les poncifs sont présents : pleurs, sang, dureté, dynamisme. Le gag à l'état pur, avec Fujio Akatsuka, dans cette série très populaire au Japon « Genius Bakabon». Aucune intention intellectuelle. L'auteur cherche à faire rire et il y arrive en poussant les situations au maximum.
Les judokas, il en existe partout, on peut rappeler la série brésilienne «Le Judoka», «Le Docteur Justice», «Le Judoka», le héros des romans policiers, etc. Eh bien le Japon ne pouvait pas laisser tout le monde s'emparer d'un tel sujet... Manga Action a fait appel à Barron Yoshimoto pour dessiner «Jukyo Den»... C'est l'histoire d'une jeune judoka, très romantique à souhait. La mise en page est recherchèe, mais sans imagination de la part de l'auteur. Les jeunes Japonais sont très amateurs de cette série.
On peut encore citer différentes séries «Todoroki Sensei», de Kaoru Akiyoshi, une bande dessinée quotidienne qui paraît dans l'édition du matin du «Yomiuri Shimbun». C'est la vie humoristique de Mr. Todoroki et de sa famille. Une autre bande dessinée quotidienne, «Fuji Santaro», de Sampei Sato, paraît dans l'édition du soir du «Asahi Shimbun», c'est aussi une série identique à celle de Koaru Akiyo.
Les comic-strips ont aussi une dessinatrice, elle s'appelle Machiko Hasegawa. Elle dessine «Sazae-san» dans «Asahi Shimbun». C'est la vie d'une famille; on peut considérer ce strip comme la version japonaise de Blondie. «Sazae-san» est très aimée des lecteurs.
Pratiquement tous les journaux ont des bandes dessinées, le «Tokyo Shimbun», édition du matin, publie une série «Kurari-san», de Kenji Hagwara, on trouve aussi une série où l'influence de Schulz est évidente : «Little Gentlemen», de Kunihiko Tsukuda.
Osamu Tezuka publie dans le «Sankei Shimbun» une série de science-fiction, «Blue Triton», série sans prétention sur le plan de la S.F. qui, d'après les sondages, semble intéresser les jeunes lecteurs.
Documentation : Kosei Ono."
Maki Sasaki "To the moon"
Perso je comprends pas trop l'intérêt de cette page
Fujio Alatsuka "Genius bakabon"
Shotaro Ishimori "The case book of Sabu and Ishi"
Superbe planche, notamment pour sa très haute case de droite
Shigeru Mizuki "Hitler, madness of the century"
Kazuo Vemuta "John and Yoko"
Mori Masaki
Très violent mais une force extraordinaire dans cette planche avec sa mise en page passionnante : l'accident en fond et des cases ajoutées dessus; fantastique!
Fujio Fujiko "Black Salesman"
Drôle, hystérique mais gore aussi. Deuxième extrait de manga sur le golf montrant que les japonais sont, comment dire, dangereux avec un club entre les mains
Testsya Chiba "Joe aiming at to morrow" (j'ai respecté la légende de 1972 malgré les erreurs sur le nom et le mot anglais tomorrow)
Ashita no Joe, l'un des mangas préférés des japonais
Barron Yoshimoto "Jukyo-Den"
Kenji Hagiwara "Kuraki-San"
Sampei Sato "Fuji Santoro"
Kaoru Akiyoshi "Todoroki sensei"
Kunihiko Tsukuda "Little Gentlemen"
Kenji Hagiwara "Kurari-San"
Personnellement je n'aurai pas mis trois pages sur ces strips de quatre cases. Ce n'est pas du tout représentatif des mangas selon moi et donne un aspect auteurisant à la BD japonaise et hermétique aux peuples hors de l'archipel. Un seul strip aurait été suffisant.
Remarques
Vous noterez comme moi les points suivants qui me semblent très importants :
"Depuis fort longtemps, la bande dessinée japonaise fait parler d'elle" : on est en 1972, j'aurai bien voulu en savoir plus à ce propos, qui en parlait, à quelle date, où, en se basant sur quel manga, on en disait quoi... dommage que nous n'ayons pas plus d'infos.
"En 1970, à la demande de l'ambassade du Japon, j'ai présenté une rétrospective de la B.D. japonaise" : ce fait m'était totalement inconnu; j'essaierais de trouver des infos là-dessus mais pour le moment le web est muet.
"Au premier abord, on remarque la violence qui est présente dans la bande dessinée destinée aux tous jeunes comme dans celle destinée aux adultes. Ce n'est que coups de sabres, ventres ouverts, têtes coupées... On s'en donne à cœur joie, de quoi faire frémir la censure française pendant plusieurs nuits..." : comme quoi la violence dans les mangas est la première chose qui saute aux yeux et aux tripes. Il est certain que pour un amateur de la BD franco-belge, habitué à Tintin, certains mangas ont dû paraitre choquants de prime abord car les "délires" d'un Hokuto no Ken ne datent pas des années 80. On aura aussi le même souci avec les dessins-animés : Goldorak, Ken, Dragonball... ont subi les foudres des biens pensants. Aujourd'hui cette critique s'est bien tassée car les mangas ont été assimilés dans notre culture par une bonne partie de la population et représentent un enjeu financier énorme, ce qui fait taire beaucoup de monde. Néanmoins je comprends le rejet et la stupeur qu'on a en voyant la page ci-dessus de l'accident de voiture, qui peut être jugé trop réaliste.
"Mais la grande innovation de la B.D. japonaise, c'est la mise en page" : ça fait plaisir de lire qu'en 1972 un grand spécialiste de la BD, Claude Moliterni, ayant beaucoup œuvré pour sa reconnaissance comme art à part entière, a pu voir cette force incroyable des mangas, à savoir une mise en page très dynamique, avec énormément de mouvement, d'énergie, une vitalité fantastique...
"Ensuite les visages des héros ne sont pas ceux que l'on pourrait s'attendre à voir, pas d'yeux bridés, mais d'énormes yeux ronds à l'occidentale" : là encore une remarque qui reviendra de façon récurrente 15, 20 ans après. Pour rappel les grands yeux ronds permettent d'exprimer plus fortement les émotions puisqu'ils offrent plus de place dans le visage pour y dessiner l'amour, la colère, la peur, la mélancolie... c'est par les yeux qu'on peut facilement rendre les émotions du personnages. Autre raison, un phénomène appelé la Néoténie et qui est la persistance de caractères enfantins chez l'adulte. Ce phénomène rends immédiatement sympathique un personnage ayant des grands yeux, un petit nez, un grand front puisque ça nous rappelle les bébés et qu'on s'attendrit facilement devant leur frimousse. Résultat, ces personnages sont attachants pour le public! Disney l'a bien compris car il a modifié ses premiers croquis de Mickey pour arriver à son design actuel.