Article sur "Budo Magazine Europe" dans Tsunami 22 1996
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Fin 2005 j'avais été très fier de faire un article richement illustré sur le premier manga traduit en France (à voir ici "Premier manga traduit en France? 1969"). Dernièrement j'ai été contacté par Christian Marmonnier, un journaliste qui avait écrit en septembre 1996 dans Tsunami 22, la revue de la librairie Tonkam, un article sur la revue "Budo Magazine Europe" qui publiait ce fameux manga. A ma grande surprise cette info n'avais jamais été reprise; en tout cas j'ai Internet depuis 1999 et je n'ai jamais vu une seule référence à cet article qui est passionnant.
Voici cet article dans son intégralité.
Tsunami 22 de septembre 1996.
"BUDO PÈRE DE LA PRESSE MANGA?
Les plus anciens d'entre vous se souviennent peut-être de la première revue consacrée aux mangas japonais qui fut éditée à la fin des années 70 par Atoss Takemoto : "Le cri qui tue", honorable revue de bandes dessinées exotiques. Et bien sachez, "jeunes gens", qu'elle ne fut pas la première à traduire des auteurs nippons dans notre bon pays. Bien avant, il y eut "Budo" et ce fut beau ! Voici donc en quelques lignes, des fragments de la vie de ce magazine d'arts martiaux, pionnier oublié de la publication de mangas...
RACINES.
Les origines de "Budo" remontent à 1951. A cette date, Henry Plée propose une "traduction officielle hors du Japon des revues japonaises du Kodokan de Tokyo" qui s'appelait "Judo Kodokan" Abordant donc le judo seul dans les années 50, cette publication adopte par la suite plusieurs formats et de nombreuses formes en évoquant d'autres arts martiaux : aïki, karaté, etc. Et, à la fin des années 60, deux titres coexistent, "Judo Kodokan" et "Budo Magazine Europe" qui fusionnent en 1970 pour devenir ''Budo". Formule unique en son genre dans le monde des revues d'arts martiaux (à l'époque, il n'y en avait guère !) qui va débuter en janvier 70 et se terminer en décembre 73 (trois années sous l'impulsion de Roland Habersetzer). Le titre est alors acheté par "France Judo" qui tentera un temps de le commercialiser...
Les budô, pour ceux qui ne le sauraient pas, sont, "comme toute sagesse, une application de l'énergie fondamentale de l'univers. Cette énergie est une et sans limite. Y participer, même à un degré infinitésimal, permet de comprendre que cette énergie est aussi une alchimie, qu'elle transforme et transmue tout ce qu'elle touche. Il est bien connu que les occidentaux ont toujours besoin de comprendre, de raisonner et d'analyser avec un esprit critique. Qualités qui deviennent vite des empêchements irréductibles quand on s'y limite. Comment un homme toujours agité en esprit peut-il entendre le silence ? Quoi apprendre si l'on imagine qu'une discipline quelconque est en soi la finalité de toute chose ? Si l'on oppose le corps et l'esprit, la technique au spirituel, si l'on croit pouvoir conserver pour soi tout ce qui vous est donné, si une idée reçue est un mur devant l'horizon ?" (extrait de "Les arts martiaux ou l'esprit des budô" Michel Random, Fernand Nathan. 1977). La voie de l'harmonie ou de la réconciliation (traduction littérale de "budô") est celle choisie par le magazine du même nom qui, au fil du temps, parle donc de tous les arts martiaux au rythme des différents hoquets et des diverses frictions de l'histoire.
AUTHENTIQUE
"Le monde Budo est en pleine mutation, selon l'éditorial de janvier 70, les rivalités entre les grands et les petits, entre les techniques et les styles, sont passées du plan national au plan international. Mais les européens y ont mis leur grain de sel, à moins que ce ne soit le grain de sable qui rendra le chef-d'oeuvre inutilisable en quelques générations..." Réceptacle d'humeur et aussi véritable porte parole d'une manière de penser, "Budo" est également l'un des premiers magazines français à avoir publié (semble-t-il !) des mangas selon la volonté du directeur de publication : Henry Plée, figure mythique du domaine des arts martiaux. Et cela, dès la fin des années 60 jusqu'à l'arrêt quasi définitif du titre, en 1973. Évidemment. le genre de manga publié est lié fortement au contexte de la revue. Ce sont des "bandes dessinées traduites en français contant la vie dramatique de samouraï célèbres, qui nous font mieux comprendre l'esprit et le code du Bushi-do" (comme on pouvait le lire en page deux de la revue). Dès le courant de l'année 70, ces bandes dessinées prennent de l'ampleur (grâce notamment à la suppression de textes en anglais) et en 1971, "Budo" va jusqu'à leur accorder un cahier spécial de 16 pages imprimées sur papier de couleur (rappelons que ces mangas sont en N/B).
MANGAS POUR LES ADEPTES DE LA VOIE
"La plupart de nos lecteurs demandent que ces histoires soient complètes. En un seul numéro, nous ne pouvons publier les 20 ou 30 pages classiques pour ces histoires. Mais dès que possible, nous allons leur consacrer une quinzaine de pages, ce qui représentera environ la moitié d'une bande. Peut-être, avec l'augmentation des lecteurs abonnés, pourrons-nous augmenter le nombre de pages de la revue et alors publier des histoires complètes". Il est étonnant, à la lecture de cet éditorial de juin 1970, de voir qu'il est toujours moderne et qu'il pourrait tout à fait convenir à de nombreux supports presse actuels en guise de réponse au lectorat avide de production.
Mais revenons à ces bandes dessinées romancées "d'histoires vécues de samouraï qui se déroulent pour la plupart au japon féodal. Les intrigues sont multiples, c'est en tout cas ce que nous révèle un sommaire de 1970: "dans les précédentes BD, vous avez appris les traditions du Oibara (suicide par idéal). puis aussi la facilité avec laquelle un Seigneur haut placé pouvait être déchu par le pouvoir central simplement pour avoir perdu la face avec sa fille..."
Et les titres des récits semblent également inspirés : "L'assassin" (Ansatsu Sha) publié en 1973, "Le duel" (Matashiaï), "Le démon de Gion" (histoire de Okiia Sosi) également publiés en 1973 ; "Le vagabond Naga Romono", "Kakeï Sankuro". "A la conquête du pouvoir" publiés en 1972; "Samouraï Kito Zaëmon en 1971 ou "La dramatique histoire budo du samouraï Shinsaburo" publié en 1970. La plupart du temps, ces histoires n'étaient pas signées et non créditées (hormis Kakeï Sankuro" de Shibata Rensaburo). Elles étaient adaptées ou lettrées par un certain Patrick Clerc et se lisaient dans le sens de lecture japonais (de droite à gauche, les cases étant numérotées).
Ainsi, "Budo" fut-elle la première revue à publier et traduire des mangas... Peut-être ! ? Ce fut, en tout cas l'une des rares et des plus ferventes dans son domaine. Ayant produit plusieurs dizaines de récits aujourd'hui quasi introuvables ou presque. Cela dit, et pour conclure, quelques numéros sont peut-être encore disponibles. Vous pouvez toujours vous renseigner auprès du Budostore qui se trouve à Paris : 34. rue de la Montagne Saint-Geneviève 75005 (VPC : 44.41.63.30 & Boutique : 44.41.63.33). C'est, en réalité, l'adresse originelle de la revue "Budo'' car, Henry Plée est surtout l'initiateur en Europe d'un certain nombre de fédérations d'arts martiaux. Pour l'anecdote, en 1972. il fut le premier non-japonais à être nommé 8ème Dan par la Fédération japonaise de Karaté.
Christian Marmonnier (qui remercie R. Habersetzer pour ses précisions)"